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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


poétique populaire, ces catastrophes ne peuvent atteindre que les pauvres. Il en fut de même quand le mouvement commença pour la Revision. Les socialistes d’abord, — Viviani[1], Jaurès[2], — dirent comme Drumont : « On n’en ferait pas tant pour un pauvre. » Cela aida à la légende du Syndicat. On commença à y moins croire du jour où il suffit d’exprimer une opinion libre (sur les perquisitions chez Picquart, sur les lettres à Mme de Boulancy) pour être aussitôt traité de « vendu ». Chacun savait de soi qu’il n’avait pas reçu d’argent. En serait-il de même pour les promoteurs de la Revision ?

La désertion (momentanée) du Figaro donna à penser. Quoi ! cette volte-face pour quelques centaines de désabonnements ! Les juifs ne sont-ils pas assez riches pour compenser cette perte ? Ou serait-il vrai que Zola n’a point été payé ?

La lettre de Zola à la Jeunesse ne resta pas sans écho. Un groupe de jeunes gens lui répondit par une adhésion publique :

Nous ne savons si Dreyfus est innocent ou coupable ; mais, tous, nous voulons que cette affaire soit conduite avec impartialité. Qu’importent les arguties parlementaires ou les colères ridicules d’une Chambre qui s’imagine qu’on résout une question judiciaire avec un ordre du

  1. Lanterne du 30 novembre 1897.
  2. Petite République du 11 décembre : « Si la terrible sentence avait accablé un pauvre homme, sans relations, sans fortune… Autour du procès, ce sont deux fractions de la classe privilégiée qui se heurtent ; les groupements opportunistes, protestants et juifs, d’un côté, les groupements cléricaux et militaires, de l’autre, sont aux prises. » Dans le même article, où les contradictions abondent, Jaurès dénonce la communication des pièces secrètes « comme le crime des crimes » ; Mercier et ses associés sont « des Judas qui trahissent le droit de l’humanité ».