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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


amenés, malgré eux, à s’occuper de l’affaire Dreyfus. Il fallut, pour les décider, l’intervention d’un magistrat, Beaudoin, président du tribunal civil de la Seine : « Sur les cinq experts inscrits au tableau, leur dit-il, trois sont récusables pour avoir été consultés en 1894 ; il ne reste que vous deux (Couard était expert à Versailles) ; de plus, deux ministres viennent de déclarer au Parlement qu’il y a une affaire Esterhazy, mais qu’il n’y a pas d’affaire Dreyfus[1]. » Une telle parole, tombant de si haut, calma, sinon leurs scrupules, du moins leurs craintes.

On tint d’abord leurs noms secrets, « pour empêcher les démarches que pourraient faire auprès d’eux les amis de Dreyfus ». Mais l’État-Major comptait bien les « travailler » ; Esterhazy en reçut l’assurance. Du Paty lui écrivit :

Les experts sont désignés ; vous aurez demain leurs noms ; ils seront vus, soyez tranquille. Tenez-vous en absolument à ce qui a été décidé[2].

L’équité, le bon sens voulaient que les experts comparassent le bordereau à l’écriture de Dreyfus et à celle d’Esterhazy. Ainsi l’avaient entendu Scheurer, le Sénat, le monde entier. On décida de leur faire comparer seulement l’écriture d’Esterhazy à celle du bordereau. Cela simplifiait l’opération, facilitait la fraude.

« Tézenas, avoue Esterhazy[3], n’était pas au courant de la vérité, » La naïve crédulité de cet homme subtil apparut tout entière dans la lettre qu’il adressa un matin à Ravary. Il demandait, « très respectueusement,

  1. Rennes, II, 567, Belhomme.
  2. Dép. à Londres, 1er mars 1900.
  3. Même déposition.