Il prévint Tézenas de cette querelle. L’avocat ne cacha pas sa surprise. Le soir, Henry, Du Paty rappelèrent Esterhazy à l’ordre pour cette bévue de Tézenas[1]. L’autre, tranquillement, reprit qu’il était nécessaire de mettre son défenseur « au courant de certaines choses ». Il lui raconta donc qu’il avait consulté « ses amis du ministère » (c’était sa formule), et qu’il ne fallait, à aucun prix, rouvrir l’affaire Dreyfus, car de grands dangers en résulteraient. Tézenas se laissa persuader. Il s’était pris d’une grande amitié pour Esterhazy, l’invitait à déjeuner.
Il fut moins facile de convaincre les experts. Boisdeffre. Gonse, pensèrent à faire la part du feu. Que la lettre « du Uhlan » fût ou non attribuée à Esterhazy, à condition qu’on fît traîner l’expertise jusqu’après l’irrévocable acquittement, il leur importait peu. Ils exigeront seulement que le bordereau ne soit pas de lui. L’honneur d’Esterhazy les laisse froids ; l’essentiel, c’est d’éviter la revision, que Dreyfus reste à l’île du Diable.
Mais Esterhazy ne l’entendait pas ainsi ; il lui fallait tout son honneur.
Les experts, l’ayant fait venir chez Ravary[2], lui communiquèrent les pièces de comparaison versées au dossier par Mathieu ; il les dénia toutes. On lui présente une pièce : « C’est étonnant, dit-il, c’est bien mon écriture, mais je suis certain de n’avoir pas écrit cela. » Une autre pièce : « Je n’y comprends rien, tous les faits qui sont relatés là sont exacts, mais ce n’est pas mon écriture. » Ils s’inclinèrent, lui firent ensuite plusieurs dictées en allemand et en français. Il écrivit « légèrement, sans hésitation et, à ce qu’il leur parut.