Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de soin, son ordonnance : « Attendu que l’instruction n’a pas produit, sur tous les points, une lumière suffisante pour proclamer, en toute connaissance de cause, la non-culpabilité de l’inculpé ; attendu, en outre, qu’en raison de la netteté et de la publicité de l’accusation et de l’émotion qu’elle a occasionnée, il importe qu’il soit procédé à des débats contradictoires… » En conséquence, le gouverneur de Paris renvoyait Esterhazy, comme cela avait été entendu, avec lui, devant le premier conseil de guerre[1].

Ainsi, la collusion continuait à s’habiller de probité et d’honneur, pareille à ce personnage de roman, qui, sous de longs cheveux blancs, semblait le plus vénérable des hommes. On lui arracha un jour sa perruque et l’on vit une face de forçat.

Cependant les juges sauront, par Saussier lui-même, qu’une ordonnance de non-lieu a été proposée ; pourquoi Saussier l’écarte, — afin que la réparation soit plus solennelle ; — et, dès lors, ce qu’ils ont à faire.

Ce fut le dernier acte militaire de Saussier. Quinze jours plus tard, l’impitoyable limite d’âge l’atteignit[2]. Les sociétés militaires et patriotiques, un peuple immense, défilèrent, une dernière fois, devant le vieux soldat, et les voix de la renommée le célébrèrent comme le modèle des citoyens et des chefs. Un décret du Président de la République, sur la proposition de Billot, le

    sier et lui laissa la liberté que la loi lui accordait ». Saussier, après avoir délibéré longuement, se serait écrié : Alea jacta est !

  1. Ordre de mise en jugement du 2 janvier 1898. — Rochefort dit que le renvoi d’Esterhazy devant un conseil de guerre était « un acte de colossal bon plaisir », une « infamie » ; de même, Drumont. Cassagnac injuria « le Syndicat juif », affirma « qu’Esterhazy n’était pas le traître », mais ajouta : « Le procès sera un procès de complaisance. »
  2. 16 janvier 1898.