Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY


il dit cette parole d’honnête homme : « Étant un homme, je puis me tromper. » Il expliqua sa pensée : « Il importe peu que le bordereau soit attribué à celui-ci ou à un autre ; Dreyfus n’en est pas l’auteur. » Des officiers ricanèrent[1]. Il les interpella : « Ah ! vous trouvez cela drôle ! »

Pour la première fois de sa longue vie, les militaires, chamarrés, couverts de décorations, produisirent sur lui une impression pénible. Il en ressentit une nouvelle amertume contre les hommes qui lui avaient fait perdre ses chères illusions[2].

Le gérant de la maison où demeurait Esterhazy fut confronté avec Marguerite Pays, « rentière », qui nia les propos qu’elle lui avait tenus. Autant maintint sa déposition. Le commissaire Hervieu intervint durement : « Vous ne me paraissez pas très bienveillant ? Je ne comprends pas pourquoi vous déposez ainsi. » Le témoin répliqua : « Je n’ai pas à être bienveillant ! » et demanda si sa parole ne valait pas celle de la maîtresse d’Esterhazy[3].

Weil en savait long ; mais Drumont l’avait averti « qu’il ne lui échapperait pas, s’il se permettait de hausser le ton[4] ». Il raconta seulement les démarches qu’il avait faites pour venir en aide à Esterhazy. Celui-ci l’insulta : « J’ai failli mettre deux fois l’épée à la main pour lui ; je lui ai sauvé l’honneur deux fois. »

Après la déposition du directeur de l’Alibi-office, le conseil prononça le huis clos ; et le procès de Picquart commença.

Ce « contraste outrageant[5] » entre la publicité de

  1. Procès Esterhazy, 152.
  2. Mémoires de Scheurer.
  3. Procès Esterhazy, 160. — La déposition d’Autant fut confirmée par son fils et par l’éditeur Stock.
  4. Libre Parole du 9 janvier 1898.
  5. Procès Zola, I, 392, Jaurès ; Rennes, III, 483, Trarieux ; lettre de Zola à Félix Faure : « On a vu cette chose ignoble… »
14