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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


furent accueillies par des rires ironiques et des rumeurs.

Pellieux, en civil, était assis derrière Luxer[1], entouré d’officiers qui donnèrent le signal des manifestations hostiles.

Mathieu, très maître de lui, énuméra les preuves qu’Esterhazy était l’auteur du bordereau, le convainquit, à plusieurs reprises, de mensonge[2]. Tézenas le harcela au sujet des fac-similés qu’il avait fait répandre à profusion : c’est pour chercher à fausser la justice » ; des sommes énormes ont été dépensées : « Vous avez le droit de défendre votre frère devant les juges, mais pas ailleurs » (c’est-à-dire : devant l’opinion). Mathieu, bravement, répondit : « Je le défends partout. » On le hua[3].

Pendant qu’il déposait, il regarda fixement Esterhazy qui détourna la tête.

À la pensée de son frère, ruiné, brisé par le crime de ce misérable, les sanglots lui montaient à la gorge. Mais il les refoula, parla d’une voix haute et claire. Toutes ; les puissances sociales, qui s’étaient coalisées pour perdre son frère, l’étaient, à nouveau, pour sauver le traître. Son patriotisme ardent d’Alsacien n’en fut pas diminué. Sa fermeté, sa droiture ne se démentirent jamais.

Scheurer, avec sa simplicité ordinaire, d’une voix grave, raconta la genèse de sa conviction, ses longues recherches et ses pénibles démarches. Quand il eut achevé cette sorte de confession publique, il attesta, très haut, sa certitude que Dreyfus était innocent. Il parut faiblir sur l’attribution du bordereau à Esterhazy, quand

  1. Procès Zola, I, 273, Pellieux.
  2. Notamment au sujet de sa lettre de juin 1894 à Weil. Esterhazy affirmait qu’elle était de 1895. Luxer reconnut lui-même qu’elle était contemporaine du bordereau (145).
  3. Procès Esterhazy, 145.