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L’ACQUITTEMENT D’ESTERHAZY

Luxer lui réclama les lettres de Gonse[1] ; Picquart les remit aussitôt ; mais il n’en fut pas donné lecture.

Tout le temps qu’il parla, Esterhazy, l’œil sombre et mauvais, agité de mouvements nerveux, semblait un serpent à qui l’on marche sur la queue, qui se retourne pour mordre et qui n’ose pas.

Tézenas fut surpris, mais sa conviction préétablie qu’Esterhazy était la victime d’une machination fut plus forte que l’évidence.

Le lendemain matin, comme Picquart complétait sa déposition, il fut tellement harcelé par les deux généraux et d’un tel ton, avec une animosité si acerbe, que le commandant Rivals intervint : « Je vois, dit-il, que le colonel Picquart est le véritable accusé. Je demande qu’il soit autorisé à présenter toutes les explications nécessaires pour sa défense. »

Luxer y consentit, Picquart put achever sa démonstration ; et, comme il savait maintenant de quelles calomnies il avait été accablé, il insista « pour être confronté avec tous les témoins dont les allégations seraient contradictoires avec les siennes ou tendraient à l’incriminer ». Il se retira, et le conseil entendit Gonse, Lauth et Henry, qui le chargèrent avec violence. Quand Henry eut terminé, Picquart fut rappelé et confronté avec lui. Il le prit de très haut, notamment, il somma Henry de préciser son imposture au sujet du dossier secret et de la pièce qui était devenue le document libérateur : « À quelle époque m’avez-vous vu compulser le dossier avec Leblois ? » Henry bredouilla que c’était à l’automne, et Pellieux, lui venant en aide, observa que, vraiment, il était difficile, à cette distance (d’un an),

  1. Cass., I, 209, Picquart. — Les lettres furent versées au dossier.