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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’admirateurs « inconnus ». Il en reçut aussi de gens qui le connaissaient, du juge d’instruction Flory qui avait été saisi, autrefois, d’une plainte en escroquerie contre lui par le marquis de Nettancourt[1], de Du Paty[2], de Boisdeffre. Il répondit en termes chaleureux au général : « Je ne trouve pas de mots pour dire ce que j’éprouve, toute l’infinie reconnaissance que j’ai au cœur pour vous. Si je n’ai pas succombé dans cette monstrueuse campagne, c’est à vous et à vous seul que je le dois[3]. »

Sa fureur chronique fit place pour une heure à un honnête attendrissement. Il soupira : « Il y a encore de braves gens ![4] » À l’étonnement de ses interlocuteurs, il ne parla plus de tuer tout le monde. Va-t-il provoquer ses calomniateurs en duel ? leur intenter des procès ? Nul soldat plus sage, plus discipliné : « Je ne ferai rien sans voir mes chefs. » Il se sentait tout ragaillardi : « L’avenir est à nous ! » Il se rendit chez Drumont et le remercia.

Il n’éprouvait, pour sa réputation reblanchie, qu’une

  1. Scellés Bertulus, n° 6.
  2. Rien qu’une carte de visite « avec ses bien sincères félicitations ».
  3. Scellés Bertulus. — Le brouillon est daté du 12 janvier. Il commence ainsi ; « Mon général, je venais de vous écrire pour vous exprimer, très mal, car je ne trouve pas de mots… etc… lorsque je reçois votre lettre… » — Bertulus raconte (Cass., I, 224) que ce brouillon, quand il le saisit dans la potiche d’Esterhazy, était déchiré. Il le fit recoller aussitôt par son greffier. « Pendant que M. André était occupé à ce travail matériel, Esterhazy, sans aucune interpellation de ma part, dit : « C’est la lettre que j’ai écrite au général de Boisdeffre. » Plus tard, Esterhazy refusa de nommer son correspondant : « Cette lettre est de moi ; c’est le projet d’une lettre que je destinais à un officier général que je ne crois pas devoir nommer. » (Cass., II, 234 ; Enq. Bertulus, 16 juillet 1898.
  4. Écho de Paris antidaté du 14 janvier 1898 : Matin du 13 ; Agence nationale du 12 ; Libre Parole du 14.