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LA CRISE MORALE


inquiétude : c’était au sujet de sa lettre à Mme de Boulancy, la lettre du « Uhlan ». On n’avait produit qu’au huis clos le rapport des experts qui la déclaraient apocryphe. Esterhazy réclama un certificat public. Pellieux le lui accorda aussitôt. Sa lettre, très affectueuse, qu’Esterhazy fit paraître le même jour[1], commençait par ces mots : « Mon cher commandant. » Elle se terminait ainsi : « Votre avocat a, entre les mains, copie du rapport des experts. Vous pouvez en user pour poursuivre et faire condamner, je n’en doute pas, les journaux qui continueraient, de ce chef, l’abominable campagne dont vous avez été la victime. »

Point de fête sans quelques sacrifices. Drumont et Rochefort sommèrent Billot de mettre Picquart en réforme et de me révoquer de mon grade dans l’armée territoriale[2].

Comme j’étais député, Billot ajourna cette partie du programme. Mais il livra Picquart sur l’heure.

Le rapport de Ravary n’a été qu’un long réquisitoire contre Picquart ; le procès d’Esterhazy, à partir du huis clos, a été le procès de Picquart. Il était logique que Picquart sortît de l’armée qui gardait Esterhazy.

Dès le lendemain matin, il fut arrêté chez lui par un officier de gendarmerie, avec un appareil inusité. Il s’y attendait. Il était mis aux arrêts de forteresse, jusqu’à décision du conseil d’enquête à son égard. On le conduisit au Mont-Valérien[3].

  1. Presse (antidatée) du 13 janvier 1898. — Esterhazy publia la lettre sans y avoir été autorisé par Pellieux. (Christian. Mémoire, 95.)
  2. Libre Parole du 12. L’article de Rochefort est intitulé : « Comptes à régler. »
  3. Cass., I, 206. Picquart. — La veille, un officier lui avait été envoyé pour l’inviter à se rendre à l’hôtel du gouvernement militaire. Picquart était absent. On décida alors de l’arrêter.