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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


chefs au rôle de comparses. Il refuse, avec raison, d’en faire des criminels instantanés, et, très exactement, montre comment ils furent pris dans l’engrenage : « Au début, il n’y a de leur part que de l’incurie et de l’inintelligence ». Mais il les fait par trop médiocres, surtout Mercier[1], par trop nuls, « tous menés » par le seul Du Paty, « qui les hypnotise ».

La suite du récit (les débuts de la campagne pour la Revision, le procès d’Esterhazy) offre le même mélange d’expressions frappantes qui concrètent les faits encore informes[2] et de lieux communs[3] ; de métaphores qui éclairent les choses jusqu’au fond[4] et de grands mots[5] ; d’imaginations pénétrantes qui ne laissent au juge que le soin d’en réunir les preuves, et d’inventions tumultueuses qui bouillonnent inutilement. Jamais Zola ne vous laisse la liberté de juger. Il ne consent pas à laisser naître la pitié[6] ou l’horreur[7], l’admiration ou la colère ; il les impose. Plus il avance dans son discours, moins il raconte ; il s’exclame et vitupère. Or, quand il a répété dix fois en vingt lignes le mot de crime[8], vous ne voyez plus les crimes qu’il dénonce, mais seulement l’orateur furieux. Sa colère met en défiance. Un crime tout nu est cent fois plus horrible qu’un crime habillé d’adjectifs.

  1. « Mercier dont l’intelligence semble bien médiocre ».
  2. « L’idée supérieure de discipline, qui est dans le sang de ces soldats, ne suffit-elle pas à infirmer leur pouvoir même d’équité ? »
  3. « O justice ! quelle affreuse désespérance serre le cœur ! »
  4. « Il ne s’agit pas de l’armée, mais il s’agit du sabre… Baiser dévotement la poignée du sabre, le dieu, non ! »
  5. « Situation prodigieuse… Spectacle infâme… Chose ignoble… Vérité effroyable… Souillure… etc. »
  6. « Le malheureux s’arrachait la chair… »
  7. « Le crime dont l’abomination grandit d’heure en heure… »
  8. « C’est un crime encore… c’est un crime… c’est un crime… c’est un crime enfin. »