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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


évocations, des images et des faits, vous voyez la conscience du poète, qui fut, ce jour-là, celle de l’humanité elle-même[1]. Cette conscience, faite de bonté et de bon sens, rayonne à travers chaque phrase. D’une pénétration terrible, il dénonce la raison d’État, les haines religieuses, la conjuration de la foule trompée et des gouvernants apeurés, c’est-à-dire de la force et du mensonge, et les blessures qu’il leur a faites sont inguérissables. Désormais le parti de la Justice est créé.

En conséquence, et comme il n’y a plus d’autre moyen de réaliser la vérité proclamée « qu’un acte révolutionnaire », Zola, logique avec lui-même, s’est décidé à l’accomplir ; il va provoquer publiquement « des gens qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais vus, pour qui il n’a ni rancune, ni haine », mais qui figurent « des entités, des esprits de malfaisance sociale ».

Ces « diffamations » étaient ainsi formulées dans une suite d’alinéas qui commençaient tous par ce même mot : « J’accuse : »

J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable du crime de lèse-humanité et de lèse-justice dans un but politique et pour sauver l’État-Major compromis.

  1. Anatole France : « Il fut un moment de la conscience humaine. » (Discours aux obsèques de Zola.)