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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

V

L’annonce du procès de Zola donna aux défenseurs de Dreyfus un élan que des soldats longtemps éprouvés par des marches et des combats de nuit, reçoivent de l’annonce d’une grande bataille, au clair soleil.

Ils se redressent, oublient leurs fatigues, s’élancent en avant.

Ils ne s’étaient pas laissés abattre par l’acquittement (prévu) d’Esterhazy ; leur foi n’en avait pas été altérée. Mais que faire ? Où aller ? On sentait seulement que l’étrange situation était provisoire. Maintenant, ils regardaient vers la Cour d’assises comme les Hébreux vers la Terre Promise, où ils trouveront le pain, le pain de vérité. Et ils criaient : « Procès ! Procès ! » comme les Grecs de Xénophon : « Thalassa ! Thalassa ! La mer ! »

Non pas que, parmi les partisans de la Revision, tous eussent approuvé également la lettre de Zola. Scheurer la trouvait peu politique, bien qu’il convînt que toutes les autres voies de justice eussent été fermées systématiquement : « Zola s’est mis sur un terrain révolutionnaire, alors que le concours de l’opinion est indispensable. Au lieu de laisser souffler le pays, on le pique au vif[1]. » C’était également l’avis de Duclaux : « Zola, en brutalisant l’opinion, n’a pas agi en manœuvrier. Il eût fallu laisser un peu de repos à la conscience publique, aux députés le temps de préparer leurs élections. Cependant les passions se seraient calmées, parce que c’est

  1. Mémoires de Scheurer.