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LA CRISE MORALE


leur nature de couler au fond dès qu’on cesse de fouetter le liquide[1]. » Bien qu’il fût le complice volontaire de Zola, Clemenceau partageait ces craintes[2]. Mais, quelles que fussent leurs réserves ou leurs appréhensions, tous étaient décidés à la lutte.

Où donc est le Syndicat[3] ? Par qui a été commandée cette lettre de Zola, dont le principal promoteur de la Revision n’a pas été prévenu et qu’il n’approuve pas ?

Scheurer et Duclaux, quand ils critiquaient, en savants, l’acte hardi du poète, avaient, à la fois, tort et raison. C’était, en effet, un acte révolutionnaire avec tous les inconvénients, comme aussi avec tous les avantages des brusques réactions du Droit opprimé contre l’Injustice et la Force.

Pourtant, les avantages l’emportaient, selon Ranc et moi, et selon bien d’autres, des plus modérés, Monod, Dufeuille, Trarieux, incapables eux-mêmes de violence, mais qui n’en tenaient pas moins la lettre de Zola pour « l’acte nécessaire », l’opération chirurgicale qu’il vaut mieux risquer que de mourir d’une lente infection, de l’empoisonnement du sang.

Nous n’avions pas beaucoup plus de confiance dans le jury que dans les autres juridictions militaires ou civiles. Cette magistrature du peuple n’est pas infaillible ; presque certainement elle se trompera. Mais le

  1. Mémoires de Scheurer.
  2. Il le dit à Scheurer et me l’a répété. Il l’indiqua dans l’Aurore : « Je reconnais que c’est une hasardeuse entreprise de se placer sous le coup des lois dans le dessein d’obtenir, au détriment de la liberté même, le redressement d’une illégalité supérieure. » (3 avril 1898.)
  3. Drumont, à propos de la lettre de Zola : « Ce qui est hors de doute, c’est l’existence du Syndicat ! » (Libre Parole du 14 janvier.)
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