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LA CRISE MORALE


place publique, qui, bien loin de faire appel à la force, ne fait appel qu’à la loi, et dont l’intolérable audace consiste à réclamer des juges. Une juridiction d’exception a, par deux fois, rendu dans l’ombre des verdicts d’où est sorti tout ce trouble. « Procédures secrètes faites sur pièces que l’accusé ne voit pas, pièces non communiquées, et témoins non confrontés », tous ces abus « barbares » que dénonçait le mémoire de Du Paty l’ancien pour trois hommes condamnés à la roue[1], la justice militaire les a rétablis. De telles pratiques, qu’on croyait abolies, sont impossibles avec l’ordinaire justice civile. Zola s’adresse à elle.

S’il fut jamais une agitation légale, ce fut celle-là.

Mais, précisément, ce qui, toujours, a manqué à la France, l’une des patries du Droit idéal, c’est le sens de la loi.

« Notre forteresse, c’est notre loi ! » disent les Anglais.

Les vrais révolutionnaires, au sens exact du mot, ce sont ceux qui violent la loi, ou qui, — parce qu’ils sont la Force et le Nombre, — couvrent systématiquement l’illégalité.

Que demande cet enragé, ce fol, ce mauvais citoyen ? Simplement que la France, la République, rentrent dans la Loi.

Comme il m’arriva d’exprimer ces idées, je fus accusé d’avoir dit, dans les couloirs de la Chambre, que Méline, en se refusant à faire la Revision, provoquerait « un chambardement général[2] ». Pour authentiquer ce mensonge, on nommait les membres de la Droite[3] à qui

  1. Mémoire, 117. Voir ce que dit Michelet (Révolution, I, 217) de ce « passage vraiment éloquent ».
  2. Libre Parole, Soir, Intransigeant, etc., du 19 janvier 1898.
  3. Georges Berry, Dupuytrem, René Gautier, de Lanjuinais.