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LE SYNDICAT


d’un bout à l’autre du pays, jusque dans le moindre village.

IV

Dans cette fièvre des esprits, l’étonnante histoire du Syndicat ne fut pas mise en doute.

La légende s’était lentement développée depuis le procès de 1894. Maintenant, le Syndicat sort de l’ombre protectrice où, seuls jusqu’alors, quelques yeux clairvoyants l’ont aperçu, et il devient une chose énorme, formidable.

Les juifs français, depuis la Révolution et devant la loi, sont des citoyens comme leurs autres compatriotes, catholiques ou protestants, soumis aux mêmes devoirs et investis des mêmes droits. Or, l’antisémitisme a imaginé de les représenter comme une nation dans la nation, formant un bloc, financiers et artisans, ouvriers manuels et ouvriers de la pensée, une vaste société secrète, sans patrie, avec des ramifications mystérieuses dans tous les pays du monde.

Ici, déjà, on reconnaît l’inspiration jésuitique. Une telle société, il n’y en eut jamais, même dans l’Orient musulman ; et une seule, publiquement, a nourri cette ambition : « Dicter ses volontés dans tous les royaumes et n’obéir à aucun roi sur la Terre[1]. »

Donc, les juifs, « qui, en tous pays, font profession d’être une race à part[2] », n’ont jamais accepté la condamnation de Dreyfus. Et, du premier jour, ils ont voulu sauver Judas, ce qui implique qu’ils se solida-

  1. La Chalotais. Constitutions des Jésuites. 335.
  2. Libre Parole du 18 novembre 1897.