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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


fond de la Bretagne[1] ». Toutefois (il faut le dire) le plus grand nombre des hommes d’étude, écrivains, professeurs et presque tous les artistes[2] partagèrent eux-mêmes l’erreur populaire, quelques-uns, assurément, parce que les basses passions ne leur étaient pas étrangères, la plupart pour des raisons qui n’avaient rien de honteux. Le plus commun défaut, c’est le défaut de jugement. L’absence d’esprit scientifique est fréquent chez les lettrés, même chez les savants. Sortez-les de leurs études coutumières, ils ne raisonnent pas mieux que la foule ignorante et grossière. Les uns ne se donnèrent pas la peine de juger par eux-mêmes, trouvant plus commode d’accepter des opinions toutes faites ; aux autres, l’intervention d’un profane, leur propre intervention dans une question de justice militaire, « parut aussi déplacée que le serait celle d’un colonel de gendarmerie » dans une question littéraire ou scientifique[3].

Il était facile de montrer ce qu’une pareille spécialisation des esprits avait d’excessif. Un romancier donnant des leçons de tactique à un général serait ridicule. Quelle compétence spéciale exige la solution juridique de l’affaire Dreyfus ? Elle eût été de la compétence du jury, c’est-à-dire de tout le monde, si Dreyfus (ou Esterhazy) avait été accompagné d’un complice civil.

La jeunesse des Écoles se divisa, dans les mêmes proportions, à peu près, que ses maîtres. Le Comité des étudiants ayant protesté contre Zola, d’autres étudiants, de la même association, blâmèrent ce comité, félicitèrent l’écrivain.

  1. Confession d’un universitaire à Clemenceau. (Aurore du 18 janvier 1898.)
  2. Rodin, Falguières, Henner, Puvis de Chavannes, etc.
  3. Brunetière, Après le Procès, 1, note I ; C. Schefer, 81.