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LA CRISE MORALE

En province, partout où il y avait des facultés catholiques, la scission fut très nette. À Lille, les élèves des établissements libres brûlèrent Zola en effigie. Les élèves des Facultés de l’État répondirent par des contre-manifestations[1]. Les uns et les autres, ils avaient, pour début dans la vie, la plus grande affaire judiciaire du siècle. Toutes ces têtes chauffaient.

VII

On ne parlait plus que de l’Affaire. Elle occupait tous les esprits. Deux ans durant, les livres, les romans même, furent délaissés. Quel roman comparable à celui que chacun vit au jour le jour ! On ne lisait plus que les journaux. Ils s’élevèrent, dans les deux camps, à des tirages qu’on n’avait pas encore connus.

Duclaux publia ses Propos d’un Solitaire. Il admit que « Dreyfus avait été jugé et condamné comme s’il n’était pas juif ». Et, partant de là, il passa au crible de sa critique la méthode de l’État-Major : s’imaginer que plusieurs incertitudes font une certitude[2].

Depuis un an, Anatole France esquissait la psychologie de l’histoire contemporaine dans une série de contes légers et profonds[3]. Il fit entrer les types représentatifs de l’énorme Affaire dans ce petit roman, ou, plutôt, il dessina aux marges de cette histoire des croquis si définitivement exacts qu’ils parurent des caricatures. Sans colère, avec un élégant détachement des

  1. 19 janvier 1898.
  2. Siècle des 22 janvier et jours suivants.
  3. L’Orme du mail, le Mannequin d’osier, l’Anneau d’améthyste.