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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


choses qui ajoutait à son ironie, il pénétrait au tréfonds des sottises et, sans avoir l’air d’y toucher, en démontait le mécanisme. Comme dans la plupart des affaires des hommes, il y avait dans celle-ci beaucoup plus d’ignorance et de bêtise que de malice. Lui-même, sous les traits du philosophe Bergeret, s’il tenait pour la Justice, il n’espérait point qu’elle serait victorieuse, et il rappelait tant d’anciennes défaites du Droit, sans inutile amertume :

Les vérités scientifiques qui entrent dans les foules s’y confinent comme dans un marécage, s’y noient, n’éclatent point et sont sans force pour détruire les erreurs et les préjugés… Jamais la vérité n’entame beaucoup le mensonge. Elle est le plus souvent exposée à périr obscurément sous le mépris ou l’injure. Le mensonge étant multiple, elle a contre elle le nombre. Le peuple, le pauvre « Pecus » ne réfléchit pas. Il est injuste de dire qu’il se trompe, mais tout le trompe. Son aptitude à l’erreur est considérable… Cependant, tout est possible, même le triomphe de la vérité[1].

Ces chroniques paraissaient dans l’un des journaux[2] qui soutenait avec le plus de passion la chose jugée, l’infaillible État-Major.

J’adressai une lettre ouverte au ministre de la Justice sur la communication de pièces secrètes au procès de Dreyfus[3]. Billot, Méline, affirmaient que Dreyfus avait été régulièrement condamné. Je démontrai (par les récits imprudents des journaux de l’État-Major ; par la confidence de Salles à Demange, que je racontai pour la première fois ; par le rapport de Ravary lui-

  1. L’Anneau d’améthyste, 151, 198, 261.
  2. Dans l’Écho de Paris.
  3. Siècle du 14 janvier 1898.