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LA CRISE MORALE

L’avantage du désordre systématiquement provoqué, c’est que les gens paisibles en veulent moins à ceux qui le font qu’au Gouvernement qui n’a pas su l’empêcher et aux téméraires qui en sont le prétexte. Très vite, ils prennent peur, réclament un sauveur. Or, César sera le serviteur de l’Église, ou il ne sera pas.

Pour la chasse aux juifs, préface à des troubles plus profonds, elle réjouira les non-juifs ; elle sera un avertissement à quiconque osera se déclarer pour le traître ; elle provoquera le réveil de l’antique barbarie.

Dès la semaine qui suivit la lettre de Zola et presque tous les jours, pendant plus d’un mois, des manifestations tumultueuses éclatèrent dans beaucoup de grandes villes. — Le 17 janvier, à Nantes, trois mille individus, les jeunes gens des cercles catholiques, les bateliers du port, parcourent les rues, en poussant des cris de mort. Après un temps d’arrêt devant l’hôtel du corps d’armée et devant le cercle militaire, où la foule acclame les officiers et les soldats, elle se rue contre les magasins des juifs, casse les devantures et les carreaux, cherche à forcer la porte de la synagogue. Le receveur principal des postes s’appelle Dreyfus ; la foule réclame sa démission. — Le même soir, à Nancy, la populace assiège la synagogue, envahit les boutiques, brûle des paquets de journaux. — À Rennes, les braillards, gentillâtres cléricaux et paysans, près de deux mille, armés de bâtons, donnent l’assaut aux maisons d’un professeur juif, Victor Basch, et du professeur Andrade qui avait adressé une lettre publique à Mercier. — À Bordeaux, il faut la garde pour empêcher les manifestations de tourner au pillage. — Tout le temps, les cris de « Mort aux Juifs ! Mort à Zola ! Mort à Dreyfus ! » se mêlent aux cris de « Vive l’armée ! » — Mêmes scènes et plus violentes encore