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LA DÉCLARATION DE BULOW


humilié ne l’en détestait pas moins et cherchait de sournoises revanches. Billot, au Sénat, quand certains républicains l’objurguaient, jouait l’homme qui se sacrifie à la solidarité militaire. Il répétait, en des termes plus soldatesques encore : « Nous sommes dans la boue, mais ce n’est pas moi qui l’ai faite. » Il avait écrit à une vieille amie de Félix Faure : « Il faudrait amener Mercier à avouer qu’il s’est trompé ; sinon, nous sommes tous obligés de le couvrir[1]. » Ailleurs, chez la veuve de Carnot, il convenait qu’Esterhazy était coupable[2] ; en tout cas, c’était un gredin ; et il eût voulu le « rendre à la vie civile[3] », « le chasser de l’armée[4] » Par malheur, Esterhazy ne pouvait pas être mis à la retraite d’office, parce qu’il n’avait pas encore trente ans de service, et il refusait de demander sa retraite anticipée, comme Billot l’y avait fait inviter par Boisdeffre[5], en lui promettant le maximum de la pension[6]. Cependant, Boisdeffre se sentait plus fort avec Billot qu’avec Cavaignac. Billot n’était pas dupe, mais marchait sous la menace. Cavaignac était dupe, mais, d’une probité puritaine en matière d’argent, il défiait tout chantage, et, d’une infatuation qui tournait à la folie, il n’en faisait qu’à sa tête.

L’intérêt de Boisdeffre était donc de garder Billot, mais en le harcelant tous les jours, en le faisant traquer, insulter par la presse. C’est à quoi il avait laissé employer Esterhazy par Henry. Les journaux « patriotes », alimentés par Esterhazy, le tenaient, depuis deux mois, pour le représentant autorisé de

  1. Lettre à Mme P… (notes inédites de Monod.)
  2. Cass., I, 294, Poincaré.
  3. Ibid., I, 548, Billot.
  4. Ibid., II, 176, Pellieux.
  5. Ibid., I, 548, Billot.
  6. Ibid., II. 176, Pellieux.