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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’État-Major, attribuaient à Boisdeffre lui-même ses communications[1]. Esterhazy travaillait surtout avec les gens de la Libre Parole et de l’Intransigeant[2]. Il leur faisait raconter que Billot était endetté et, par ses dettes, à la merci du Syndicat.

À chacune de ces attaques, Boisdeffre arrachait quelque concession nouvelle à Billot.

Mais Esterhazy trouvait que le procédé finirait par s’user, que, le plus sûr pour lui, c’était de se débarrasser de Billot, et, par surcroît, de tout le ministère Méline, trop mou, pusillanime, incapable d’une résolution virile. Il se concerta à cet effet avec Pellieux et avec Tézenas, et leur dicta, pour être communiqué à Boisdeffre, un plan de campagne.

Il explique d’abord, en peu de mots, mais saisissants, que, dans les conditions où s’engage la bataille, elle est d’avance perdue : « Le général Billot promettra de venir à l’audience de la cour d’assises, mais il n’y viendra pas. » Et rien que « des témoignages hostiles » seront produits à la barre, « aucun témoignage favorable » (car il n’imaginait pas que Zola aurait l’audace de citer, lui-même, les chefs de l’État-Major). Dès lors, « l’avocat général sera obligé de laisser entendre aux jurés que, de la meilleure foi du monde, les juges du conseil de guerre ont pu se tromper ». Ce sera le procès non pas de Zola, mais « de Boisdeffre et du haut commandement », « et Zola sera acquitté, le procès Dreyfus revisé,

  1. Cass., II, 185, Boisandré : « Le commandant Esterhazy a toujours été considéré par la presse comme le délégué de ses chefs ; la presse est humiliée de voir maintenant flétrir celui qui a été accrédité près d’elle. » (Conseil d’Enquête.)
  2. « Le commandant Biot, M. de Boisandré, de la Libre Parole, M. Charles Roger (Daniel Cloutier) de l’Intransigeant, ne pourront pas ne pas témoigner de ces faits. » (Dép. à Londres. 5 mars 1900.)