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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de rire nerveux. Il profita d’un instant de silence relatif pour crier à Jaurès : « Vous êtes du Syndicat ? » Et, insistant : « Je dis que vous devez être du Syndicat, que vous êtes probablement l’avocat du Syndicat ! — Monsieur de Bernis, riposta Jaurès, vous êtes un misérable et un lâche ! »

Bernis, pour lancer son injure, s’était placé dans l’hémicycle, au pied de la tribune. D’un mouvement soudain, comme un flot, vingt socialistes furent sur lui, des hauteurs de l’extrême gauche, pendant que les députés royalistes accouraient à la rescousse. Des sénateurs venus pour assister à la séance, le vieux Buffet, sont bousculés, renversés. Les huissiers s’interposent, emmènent Bernis que Gérault-Richard a traité de gredin et souffleté. Mais Bernis s’échappe, escalade, d’un bond, la tribune, d’où Jaurès, ayant ramassé ses papiers, s’apprêtait à descendre, et, par derrière, le frappe d’un coup de poing[1]. Brisson, qui, depuis le début de l’ignoble bagarre, agitait en vain sa sonnette, lève la séance. Mais les rixes continuent. Les spectateurs des tribunes, après s’être fort divertis, s’injurient à leur tour et se gourment. Des socialistes, Pajot, Coutant, Chauvière, debout, devant le banc des ministres, les insultent. Des radicaux, Chapuis, Alphonse Humbert, me menacent de la parole et du geste.

La troupe entra, fit évacuer la salle.

Alors, pendant une heure encore, on échangea des coups et des injures dans les couloirs.

  1. Bernis envoya le lendemain ses témoins à Jaurès. Pelletan et Grousset répondirent aux témoins de Bernis « qu’en frappant Jaurès à l’improviste, il s’était placé en dehors de tout droit à une réparation par les armes ».