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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


chimère de justice. Il leur arrivait encore de parler, parfois, un langage républicain ; ce qui avait fait, jadis, la beauté de l’âme républicaine leur était étranger. Ils avaient posé ce principe que la politique doit être positive, égoïste, et que la générosité est une duperie.

Ils étaient trop intelligents pour ne pas donner raison à Jaurès contre Méline ; mais ils volèrent avec Méline contre Jaurès[1] ; puis, « dans les couloirs, là où l’âme parlementaire retrouve son élasticité et sa liberté », ils entourèrent Jaurès : « Quel dommage que cette affaire ait éclaté quelques mois avant les élections[2] ! »

Ils se pardonnaient à eux-mêmes leur lâcheté parce qu’ils avaient le courage de l’avouer.

Goblet, au nom des radicaux, ne trouva à dire que ceci : « Vous avez accordé le procès d’Esterhazy aux défenseurs de Dreyfus et le procès de Zola à la droite. »

VI

L’Europe, le monde, ne comprenaient plus rien à la France, la regardaient « avec stupeur et détresse[3] ».

Du premier jour, Tolstoï, questionné par un jeune écrivain, avait répondu : « Les grands malheurs ont, parfois, leur utilité ; il est très bon qu’un cas de conscience se pose pour la France[4] ». Cette conscience

  1. L’ordre du jour de confiance fut voté par 360 voix contre 126. — Lanjuinais, au nom de la droite, remercia Méline d’avoir livré à la justice un des insulteurs de l’armée.
  2. Procès Zola, I, 395, Jaurès.
  3. Lettre de Bjœrnson à Zola, de Rome, le 15 janvier 1898.
  4. André Beaunier, Notes sur la Russie, 84.