Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
LA DÉCLARATION DE BULOW


française, si lumineuse autrefois, comment s’est-elle obscurcie ?

D’autant plus, la lettre de Zola, traduite dans toutes les langues, avait excité l’enthousiasme. Pendant que la « presse immonde », ainsi qu’il l’avait qualifiée, déversait sur lui un flot ininterrompu d’injures et de sales outrages, et que les bandes de Guérin venaient, chaque soir, hurler à mort devant sa porte, des félicitations ardentes lui arrivèrent de tous les pays, par ballots, trente mille lettres et adresses, signées d’admirateurs pour la plupart inconnus, de femmes et de jeunes filles qui pleuraient sur Dreyfus, ne pensaient plus qu’à ce roman merveilleux. Il entassait, dans des caisses, ces témoignages si touchants, laissés sans réponse ; il y eût fallu des mois. « Combien je vous envie, lui écrivit Bjœrnson, combien j’aurais voulu être à votre place, pouvoir rendre à la patrie et à l’humanité un service comme celui que vous allez lui rendre ! »

La certitude de l’innocence de Dreyfus était universelle, sans distinction ni de classe ni de religion, hors chez les antisémites. Beaucoup de prêtres catholiques, même de moines, avertirent leurs frères de France qu’ils faisaient fausse route[1].

Une voix très haute s’éleva, en Russie, celle du grand jurisconsulte Zakrewski, sénateur de l’Empire. La condamnation irrémédiable qui sortira de cette crise, c’est celle « des mystérieux tribunaux d’inquisition, où retentit le cliquetis des sabres[2] ».

Pour l’État-Major russe, il fut édifié, dès que fut prononcé le nom d’Esterhazy qui avait vendu plusieurs fois

  1. C’est ce que le P. du Lac a dit à Cornély, ce que m’a dit le P. Garnier.
  2. Zuriditcheskaya Gazeta, du 1er février 1898.