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LA DÉCLARATION DE BULOW


notaux ne fût pas persuadé de l’absolue loyauté des deux ambassadeurs, il en résultait qu’il se rendait consciemment complice d’un crime.

Sa chute, dans l’estime du monde, lut aussi rapide que l’avait été sa fortune.

La même réprobation atteignait Félix Faure.

Il croyait se hausser au rang des rois par un crime d’État. Mais les rois sont des gentilshommes qui n’ont qu’une parole et qui n’admettent pas qu’on la mette en doute.

Un des secrétaires de l’ambassade d’Italie raconta à Zola les confidences finales de Schwarzkoppen à Panizzardi, précisa que le général de Schlieffen avait, à Berlin, dans ses archives, plus de cent lettres d’Esterhazy, beaucoup plus graves que le bordereau[1]. Zola tira de cette conversation un récit que le philosophe Nordau porta, de sa part, à Schwarzkoppen dont il avait été le médecin. Celui-ci écouta la lecture sans broncher, mais Nordau ne put obtenir qu’une affirmation formelle au sujet de Dreyfus : « Pour le reste (c’est-à-dire en ce qui concerne Esterhazy), tant qu’on m’ordonnera démo taire, je me tairai. » Nordau essaya, sans succès, de voir l’Empereur allemand.

S’il avait cédé à son tempérament impulsif, surtout s’il avait connu le bordereau annoté, le faux des faux, l’Empereur, peut-être, eût éclaté. Le vieux chancelier (le prince de Hohenlohe, le ministre des Affaires étrangères, Bulow, d’autres encore, lui firent sentir la gravité d’une manifestation personnelle, si la France, dans la fièvre des esprits, ne l’eût pas acceptée comme sincère[2]. Guillaume II se rendit à ces avis, mais

  1. La Vérité en marche. 155.
  2. Vers la même époque, la comtesse de Bulow écrivit à sa vieille amie, Mme de Meysenburg, l’auteur des Mémoires d’une