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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Le 16 janvier, il écrivit encore à Félix Faure :

Je renouvelle mon appel suprême au chef de l’État, au ministre de la Guerre, si l’on ne veut pas qu’un innocent qui est au bout de ses forces, succombe sous un pareil supplice de toutes les heures, avec la pensée épouvantable de laisser derrière lui ses enfants déshonorés[1].

Les lettres de sa femme, comme on l’a vu, ne lui étaient plus transmises qu’en copie. Henry en supprimait maintenant tout ce qui eût pu réconforter le malheureux. Il laissait à peine subsister quelques formules qui, n’ayant rien de précis, semblaient banales. Des événements qui remplissaient le monde de son nom et d’une infinie pitié, Dreyfus ne savait rien.

Un jour, il entendit deux gardiens qui, derrière la palissade, causaient entre eux : « Ah ! si celui-ci n’est pas reconnu innocent, personne ne le sera ! »

L’hiver, puis le printemps se traînèrent lourdement ; il resta dans l’ignorance de tout. À l’été seulement, vers la fin de juillet, comme il était retombé malade, l’un des gardiens, dont le nom restera éternellement inconnu, comme celui du bon Samaritain, murmura : « Il y a un homme qui s’occupe de vous. »

  1. Cass., III, 327.