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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


nistes lui firent une ovation. Ils marquaient ainsi le contraste entre cet ancien président de la République, qui déférait respectueusement à la loi, et les officiers qu’il avait fallu menacer des arrêts de la justice pour obtenir leur comparution. Ils manifestaient aussi contre Félix Faure, si âprement attaché à ce pouvoir que son prédécesseur avait quitté à tort, mais non sans noblesse, parce que les classes populaires doutaient de son dévouement à la démocratie et qu’il se croyait un obstacle au bien public.

Dans cette atmosphère surchauffée, après cinq ou six heures d’audience, les nerfs tendus à l’excès, on sentait l’oppression lourde de la haine, la plus affreuse de toutes : celle des guerres civiles.

Ce soir-là, pour la première fois, la sortie de l’audience ressembla à une émeute. Un jeune homme[1], qui avait acclamé Zola, fut accusé d’avoir crié : « À bas la France ! » et roué de coups. La bagarre devint générale dans les galeries du Palais, galerie Marchande, galerie du Harlay. Zola dut se réfugier dans un vestiaire. Puis, quand il parut, avec les quelques amis qui lui faisaient une garde du corps, le musicien Bruneau, le graveur Desmoulins, l’éditeur Fasquelle, ses avocats, sur le grand escalier du Palais, une foule énorme qui sembla plus énorme encore, fantastique, dans la nuit brumeuse d’hiver, l’accueillit par des huées et des bordées de sifflets, et, sans l’intervention personnelle du Préfet de police, il eût été frappé, renversé. Sa voiture partit au galop, poursuivie par la canaille qui poussait des cris de mort : « À l’eau ! À l’eau ! À la Seine ! » et des cris patriotiques.

Des énergumènes écrivirent au Préfet pour le blâmer d’avoir protégé Zola[2].

  1. Genty, préparateur d’examens.
  2. Presse du 10 février 1898.