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LE PROCÈS ZOLA

Pendant les deux semaines que dura le procès (quinze audiences), les mêmes scènes se renouvelèrent tous les soirs, mélange de passions sincères, et de violences calculées, payées.

Le préfet de police, Charles Blanc, excellent homme, bon républicain, ne sut pas prendre les mesures nécessaires, se laissa déborder.

La police, d’ailleurs, composée, en grande partie, d’anciens militaires, souriait aux braillards qui prenaient soin d’accompagner leurs brutalités de cris répétés de : « Vive l’armée ! » Tous les amis de Zola furent insultés, menacés. Guérin, en personne, dirigeait de jeunes gredins qui, par deux fois, assaillirent Yves Guyot, ameutèrent la foule contre lui[1]. Il faillit être jeté à la Seine.

Je vois encore une jeune femme furieuse qui me poursuivit, voulait m’arracher mon ruban de la Légion d’honneur, pendant que les manifestants hurlaient : « À mort les juifs ! Mort aux traîtres[2] ! »

Les séditieux (pour la police), c’étaient les revisionnistes, qui répondaient aux provocations par le cri de : « Vive la République[3] ! » Un jeune avocat[4] pour une exclamation inoffensive, fut frappé par un des juges d’Esterhazy[5] et par des officiers qu’excitait le beau-frère de Rochefort[6]. Le prétoire, le pavé, la rue, quinze jours durant, appartinrent à Ratapoil.

  1. Libre Parole du 9 février 1898 : « Vous êtes une vieille fripouille ! » lui dit Guérin ; une foule furieuse le poussait, plus mort que vif etc.
  2. « La foule crie : « À l’eau le youtre ! À mort les juifs ! » Son mufle immonde de bête sarcastique se plisse d’une façon horrible… » (Libre Parole du 9.)
  3. Gazette de France du 10, Aurore du 12, etc.
  4. Me Courot : il avait crié : « Vive l’armée, mais enlevez certains chefs ! »
  5. Le colonel Bougon.
  6. 11 février. (Temps, Figaro, etc.)