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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VII

Il restait, après avoir suggestionné le peuple, à intimider le Gouvernement et la Chambre.

Les professionnels de l’injure n’en sont plus à ignorer qu’elle laisse insensibles les hommes de devoir. Cependant, dénoncés chaque jour comme des agents de l’étranger et menacés, s’il n’est plus d’autres juges, de la justice populaire[1] les calomniés n’en sont pas moins salis par le déluge de boue qui tombe sans interruption, affaiblis d’autant. Surtout, le beau du système, c’est d’effrayer par tant de mauvais traitements, infligés à ceux qui ont engagé le combat, ceux qui seraient enclins à les rejoindre. Quelques-uns seulement vont trouver qu’il est plus honorable de recevoir les crachats de Drumont[2] que d’être laissés en paix.

Déjà la peur promenait sa contagion dans toute la Chambre. Au début, dans l’attente énervée, les anciens amis de Boulanger et quelques royalistes avaient été seuls à parler haut, d’un ton rogue, sans qu’on osât les contredire, parce qu’on sentait derrière eux Rochefort et Drumont. Puis, du renfort leur était venu, surtout Cavaignac et Humbert.

L’ancien rédacteur du Père Duchêne, depuis qu’il avait reçu, comme président du Conseil municipal, un amiral russe à l’Hôtel de Ville, se croyait l’un des gar-

  1. Libre Parole du 17 novembre 1897 : « Scheurer est un misérable auquel tout le monde a le droit de cracher son mépris. » Le 20 : « vieux satyre, turpide, insondable canaille…, etc. » Mêmes injures à l’adresse de Monod et de Leblois, à la mienne.
  2. Autorité, Jour et Patrie du 18 novembre ; Croix, etc.