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LE SYNDICAT


diens de la patriotique alliance. Instruit, intelligent, orateur vigoureux, rompu aux affaires, il s’était imposé malgré son sanglant passé, tout en continuant à inquiéter, socialiste d’étiquette et ministériel par intermittence. Il se porta garant d’Esterhazy ; il tient de source sûre des preuves du crime de Dreyfus ; il raconte, par le détail, les méfaits du Syndicat. S’il n’est plus en mesure de faire connaître à ses ennemis « le goût des bons pruneaux de six livres[1] », il les remplace par des calomnies non moins meurtrières.

Plus discret, d’autant plus redoutable, Cavaignac menait la même campagne, quelle ambition plus âpre, plus tenace, servie par une belle force de travail, mais cerveau étroit et sans humanité. Du parti modéré dont il avait été l’ornement, il était passé au radicalisme. Tout enfant, sa mère lui avait dit : « Tu seras Président de la République ! » Déroulède le lui avait répété[2]. Il suivait son rêve, l’œil fixé sur l’Élysée, marchant sur ses idées et ses amitiés d’autrefois, bilieux, haineux, justicier de profession, d’autant plus vertueux que la Vertu fauchait d’embarrassants rivaux. Cette hautaine intransigeance s’accommodait de complicités, à peine cachées, avec les boulangistes de la Chambre, au dehors, avec les antisémites. On lui croyait une conscience rigide et la connaissance de tous les secrets du ministère de la Guerre, où il avait passé quelques mois. En fait, il n’avait pas vu le dossier de Dreyfus ; mais, cousin de Du Paty et ami particulier de Mercier et de Boisdeffre, il répétait leurs propos, d’un ton sec et tranchant, surtout la légende des aveux. Il incriminait les hésitations de Billot (moyen commode de se créer une clien-

  1. Père Duchêne du 22 germinal an 79 (12 avril 1871).
  2. Chambre des Députés, séance du 8 février 1893.