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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


paraître en tenue, devant le jury. C’est un fait, aussi, qu’ils vont jeter dans la balance leur épée, leurs galons et leur panache, leur étincelante ferblanterie.

Le chef de l’État-Major général, très droit, dans sa haute taille, la gravité solennelle d’un soldat diplomate qui détient à la fois les secrets de l’armée et ceux de la politique, cherchait, d’une voix lente, les mots corrects et neutres ou refusait de répondre. Du document libérateur, « qui a trait à l’affaire Dreyfus », il ne lui est pas permis de parler. « De l’instruction relative au commandant Esterhazy, il s’est tenu à l’écart et ne sait rien. » Rien, non plus, du procès d’Esterhazy, parce que « le commandant a été interrogé à huis clos », ce qui n’était pas moins faux que le reste, mais plus notoirement.

Des communications qui auraient été faites à la presse par des officiers de l’État-Major, il sait seulement que ces officiers ont donné leur parole qu’ils y étaient étrangers ; « il s’en tient à leur parole » ; et ce sont « de braves gens qui font leur devoir, tout leur devoir, il l’atteste et il le jure ». En revanche, Picquart a commis des faits répréhensibles ; après avoir dénoncé Esterhazy, « il n’a pu trouver aucune pièce probante », bien que le Ministre lui eût prescrit de « faire tout au monde » pour arriver à la vérité ; « absorbé par une seule idée », il a négligé son service ; pourtant, il fut traité avec beaucoup d’indulgence : « On ne peut pas appeler envoyé en disgrâce, un officier envoyé en mission. » Au surplus, la culpabilité de Dreyfus « a été, de tout temps, certaine », « le jugement de 1894 est hors de discussion » ; la conviction personnelle de Boisdeffre est absolue ; « des faits postérieurs ont assis sa certitude d’une façon inébranlable ».

Il éleva la voix, scandant sa phrase, la main tendue, comme pour prêter un nouveau serment.