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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mauvaises actions, ni de ses sottises, et se croyait un soldat héroïque, une victime de l’inflexible discipline dont il restait l’esclave[1].

Il s’avança dans le prétoire, mécaniquement, au pas cadencé de la parade prussienne, et, sentant sur lui tous ces yeux curieux ou chargés de haines, il s’arrêta comme un automate, à deux pas de la barre, les talons joints, les jarrets tendus, les reins cambrés, le regard éperdu, et salua militairement la cour et le jury. Puis, les mains le long de la couture du pantalon, dans la position du soldat devant ses chefs, raide, il attendit, au milieu d’un immense éclat de rire et d’horreur.

Quoi ! c’est à un tel fantoche, à ce caricatural revenant de l’Inquisition, que Dreyfus a été livré !

Quand il eût prêté serment, il protesta, et c’était bien son droit, mais d’un ton qui cherchait à être rogue et qui sonnait faux, contre les accusations dont il avait été l’objet. « Il ne s’en trouve point atteint, car il a toujours agi en galant homme, et il a l’estime de ses chefs, ce qui lui suffit. » Mais il s’indigne qu’une jeune fille, — celle qu’il avait dû épouser — ait été mise en cause. « Au nom de l’honneur français », il prie la Cour « d’écarter des débats de pareilles questions ».

Labori expliqua qu’il s’agissait, dans sa pensée, de la comtesse Blanche de Comminges, « une jeune fille de cinquante ans », et comment son nom avait été mêlé à l’affaire des faux télégrammes. Il demanda ensuite au témoin s’il avait connu le comte de Comminges et « entretenu une correspondance avec une ou deux personnes de sa famille ». Mais Du Paty, d’une voix qui s’étranglait, refusa de répondre, alléguant, non sans raison, que ces questions touchaient « à l’honneur d’une fa-

  1. « Le seul convaincu ». (Séverine, dans le Petit Bleu du 11 février 1898.)