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LE PROCÈS ZOLA


sourd. » Cela donne le temps de réfléchir. De plus, la maladie excuse les défaillances de mémoire, d’involontaires erreurs.

Après le grotesque spectacle que venait de donner Du Paty, c’était, pour les amis de l’armée, une heureuse diversion que ce vrai officier qui refoulait ses souffrances pour accomplir son pénible devoir. Il refusa de s’asseoir, comme Delegorgue, complaisamment, l’y invitait, parce qu’un soldat de sa trempe doit rester debout ; et il se cramponnait à la barre, de ses fortes mains, ces mains terribles de boucher qui auraient assommé un bœuf et qui n’auraient pas moins aisément étranglé un homme.

Sa grande taille, sa prestance de « colosse trapu »[1] ajoutaient à l’émotion. Rien de pitoyable comme un Hercule[2] malade. Cependant, quelques-uns commencèrent, dès ce jour, à lire en lui ; le crime paysan a son odeur particulière ; je la sentis ; de même quelques autres balzaciens, Ranc, Claretie. Séverine aussi s’inquiéta : « Le regard, sans flammes, a une lueur madrée… Le torse penché sur la barre, il tend l’oreille, un pli d’attention entre les sourcils durs, ne répond qu’à bon escient, comme s’il traversait un gué aux pierres oscillantes[3] ».

Il fut interrogé d’abord sur le mystérieux dossier, « le dossier volé, lui dit Delegorgue, dans l’armoire de votre cabinet ». Henry répondit « qu’il était absent quand le dossier fut pris par Picquart » et confirma la déposition de Gribelin sur la prétendue consigne de Sandherr. Il convint qu’il avait marqué l’enveloppe de son paraphe, mais refusa de dire ce qu’elle contenait.

  1. Séverine, 84.
  2. Bonnamour, 92.
  3. Séverine, 84.