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LE PROCÈS ZOLA


de cette pièce Canaille de D… que Gribelin accuse Picquart d’avoir montrée à Leblois : « Vous voyez le lien entre la disparition du document libérateur et la visite de Leblois dans mon bureau ! »

Ce n’était qu’une partie de la vérité ; mais quelle trouée dans l’ombre ! L’honneur des protecteurs d’Esterhazy coulait par tous les pores.

Pellieux, certain, on l’a vu, de l’infamie de Dreyfus, ressentait, en conséquence, une irritation violente contre Picquart, officier en révolte qui accusait un innocent et faisait le jeu des ennemis de l’armée : « Sans lui, l’Affaire n’existerait pas[1]. » Il s’exaspéra encore de l’insolence des avocats de Zola qui s’acharnaient, voulaient tout savoir. Les officiers l’entouraient, l’excitaient : « Il n’y a que vous pour tenir tête à toute cette canaille[2] ! »

Leur haine éclata aux confrontations.

Gribelin se fit donner par Picquart le brevet de « parfait honnête homme[3], » puis jura à nouveau qu’il avait vu Leblois et le colonel attablés devant le dossier secret. — Lauth, tout le temps que Picquart déposa, s’était démené furieusement, la figure contractée, comme prêt à bondir sur lui, pendant que Du Paty, très pâle, écoutait en silence[4]. Il perdit toute mesure quand il se trouva à la barre, face à face avec son ancien chef. Il répéta, avec violence, ses vieilles inventions et y ajouta. Picquart a voulu faire apposer un timbre sur le petit bleu et faire disparaître les traces de déchirures sur la photographie, pour pouvoir dire, là-

  1. Cass, I, 108, Roget.
  2. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin, dans l’Aurore du 11 février 1898.
  3. Procès Zola, I, 328, Picquart.
  4. Ph. Dubois, Impressions d’un témoin.