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LE SYNDICAT


ou ralliés, plus ou moins gangrenés d’antisémitisme, suivit.

Quelques royalistes seulement déploraient ces violences, le vieux Buffet, au Sénat, et son ancien secrétaire, Eugène Dufeuille, qui avait remplacé Othenin d’Haussonville auprès du duc d’Orléans. Ce délégué du prétendant était resté libéral ; démocrate de tempérament et d’esprit, il refusait de renier la Révolution. L’antisémitisme lui faisait horreur, comme un retour honteux au moyen âge. Il croyait Dreyfus innocent et osa le dire à son prince. Il eût souhaité que ce successeur de tant de rois ne laissât pas à quelques républicains cette belle cause, qu’il s’en emparât, faisant tomber les préventions, repoussant le joug de l’Église et replaçant, à l’exemple de ses ancêtres, le trône sur l’autel.

Entre la droite et la gauche flottait le centre, tout à coup désemparé, dérangé dans ses calculs par la soudaine tempête, préoccupé seulement des élections prochaines et de sauver son Méline.

Je sentis bientôt, chez mes plus anciens amis, une sourde colère ; ils m’accusaient d’avoir entraîné, débauché Scheurer.

Le petit groupe socialiste, si uni jusqu’alors et si actif, s’arrêta pour ne pas se diviser. Jaurès hésitait encore à abjurer publiquement son ancienne erreur : « Dreyfus réhabilité, c’est l’opportunisme qui remonte ; Dreyfus accusé, c’est la réaction cléricale qui triomphe ; voilà le sens social que les intérêts donnent à la lutte[1] ». Pourtant, son cœur, sa raison, son éloquence avaient choisi. Il multiplia les efforts pour convaincre ses amis. Mais la plupart refusèrent de s’engager, les uns parce qu’ils étaient las de sa brillante suprématie ; les autres

  1. Petite République du 11 décembre 1897.
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