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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


appelé « Gonse-Pilate[1] ». Il avait toujours cherché « à rendre la vérité aussi éclatante que possible », alors que Picquart avait commis la faute de garder le petit bleu par devers lui, pendant plusieurs mois, sans en avertir ses chefs. Puis, quand Picquart s’en fut justifié, en se couvrant de Boisdeffre qui l’avait approuvé « par écrit et verbalement[2] », Gonse, brusquement, lui offrit la paix. Il dit que « c’était un officier qui avait très bien fait son service jusque-là et qui était susceptible de le faire très bien dans l’avenir, s’il le voulait[3] ».

Picquart, en s’emportant d’un si beau mouvement, qui lui gagna tous les cœurs un peu nobles, s’était singulièrement fortifié. Toutefois, il va se contenir de nouveau au lieu de poursuivre son heureuse offensive, parce qu’il est naturellement réservé, de la race des Cunctator, et qu’il a encore l’empreinte. Il dit à Bertulus qui l’en félicitait : « Tant que j’aurai l’honneur de porter l’épaulette, je sacrifierai tout[4] ! » Le juge, chaque fois qu’il rencontrait Gonse, lui faisait promettre que Picquart ne serait pas rayé des cadres de l’armée[5].

Cependant l’invite, qui fut fort remarquée[6], de Gonse à Picquart avait fait dresser l’oreille à Henry, toujours très attentif, et il la jugea d’autant plus grave qu’elle succédait au violent éclat où il s’était pour la première fois et irrémédiablement compromis. Ainsi, les méfiances d’Esterhazy étaient fondées ; non seulement le ministre de la Guerre (il ne connaissait pas encore la

  1. Siècle du 15 janvier 1898, article signé Testis. — L’article a été reproduit dans un volume intitulé Gonse-Pilate et autres histoires, par « Un intellectuel ».
  2. Procès Zola, I, 367, Picquart.
  3. Ibid., I, 368, Gonse.
  4. Cass., I, 222, Bertulus.
  5. Ibid.
  6. Bataille, Le Procès Zola, 221.