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LE PROCÈS ZOLA

Le mot, le seul mot, que Salles, bâillonné, avait refusé de prononcer. Demange va le dire, et si prestement, d’une si subite inadvertance, que le couperet de Delegorgue, n’aura pas, cette fois, le temps de tomber.

Comme il s’attachait surtout à rappeler les conseils de prudence qu’il n’avait cessé de prodiguer à Mathieu Dreyfus, ce qui semblait une critique de Zola, Delegorgue le laissait aller ; ce dont Demange profita déjà pour glisser « qu’il avait su de Salles qu’il y avait eu violation de la loi[1] ». Puis, le mot insinué, il le répéta trois et quatre fois, racontant que son avis personnel avait toujours été de saisir le ministre « par la voie de l’annulation ». Il l’avait dit aux Dreyfus, à Scheurer. Par malheur, « le Gouvernement ne désirait pas, à ce moment, faire la lumière sur l’affaire Dreyfus », et lui, n’étant préoccupé que de son client, étranger aux luttes des partis, il avait conseillé, de nouveau, la patience. « Il faut attendre encore, des temps plus calmes, l’apaisement. » Aussi bien ne peut-on pas reprocher à Zola d’avoir eu recours à une procédure révolutionnaire, puisque les voies légales lui étaient fermées.

Delegorgue se croyait hors du défilé ; il avait déjà refusé, par deux fois, de poser une question de Labori sur l’origine de la conviction de Demange, quand Albert Clemenceau renouvela lestement sa précédente manœuvre : « N’est-ce pas qu’un juge du conseil de guerre a affirmé l’existence d’une pièce secrète à Me Salles qui l’a répété à Me Demange ? — « Mais oui ! parbleu ! » riposta Demange[2].

  1. Le jour de la première audience, le Matin avait publié une conversation de Demange qui racontait à des étudiants la confidence qu’il avait reçue de Salles.
  2. Procès Zola, I, 382, Demange. Il ajouta « qu’il n’avait jamais vu que le bordereau ». — Dans une audience ultérieure, l’édi-