Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
410
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

« les pièces de conviction qui avaient été saisies au domicile de Dreyfus et, notamment, deux lettres de Mathieu, l’une sur une émission d’obligations, l’autre sur des fusils de chasse[1] ».

La stupeur augmenta quand Labori sortit le fameux diagramme de Bertillon, « l’arsenal de l’espion ténébreusement conseillé ». On attendait un désaveu. Il se rengorgea, s’étonna seulement, comme d’une déloyauté, « que le fac-similé n’eût pas reproduit un point très important : le point du buvard ». On lui dit qu’il pourrait lui-même faire la correction : « Où faut-il placer le point ? Dans l’arsenal ? dans les tranchées ? » Il y avait encore, sur le plan, des flèches et un cœur. Et comme l’auditoire tout entier avait passé subitement de la colère à une gaîté folle, il se fâcha, ahuri et solennel, car l’affaire était sérieuse, son système infaillible : « On verra après ma mort, au point de vue historique[2]. »

Les généraux eux-mêmes ricanaient, oubliant que l’État-Major avait proclamé que cet aliéné était « un grand savant » : « Quel âne ! », s’écria l’un d’eux[3].

Bertillon, à l’audience suivante[4], ne rapporta pas les pièces du buvard, non qu’elles lui eussent été, déclara-t-il, refusées par le ministre de la Guerre, mais parce « qu’il n’était qu’un témoin qui n’était pas chargé de faire des commissions et qu’il avait consulté la situation ». « Vous eussiez mieux fait, observa Albert Clemenceau, de consulter le ministre ou le préfet de police ». En tout cas, n’ayant pas les pièces, il ne pouvait pas faire

  1. Procès Zola, 413, Bertillon. — Voir t. I, 309.
  2. Bataille, 232 : compte rendu analytique du Petit Temps, cette phrase fut supprimée par Bertillon lui-même au compte rendu sténographique.
  3. Séverine, 107.
  4. 13 février 1898. Procès Zola, I, 420, 423, 425, etc.)