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LE JURY


la barre, face à face avec deux généraux, il a osé démentir Pellieux et se dire mieux informé que Gonse des choses de l’État-Major. Et, visiblement, il a eu l’avantage ; quelque réserve qu’il ait observée, ses arguments ont porté ; Gonse ni Pellieux n’y ont répondu[1]. Toute la haine se concentrait sur lui. On en oubliait ces misérables savants, « qui sont de l’Institut lorsqu’ils ne sont pas de Belgique ou de Suisse[2] », et Zola lui-même.

Cette colère, qui était sincère, se compliquait chez les chefs d’une crainte qui ne l’était pas moins. Tout à l’heure, Esterhazy va comparaître. Que deviendra-t-il entre les griffes des avocats ? Quel aveu lui arracheront-ils ? Cette longue et acharnée bataille est encore indécise. Le sort en dépend de lui, pour qui toute cette guerre est engagée et qui incarne l’honneur de l’armée. Mais on se défie de lui. On n’imagine pas qu’il va évoquer l’idée de l’Innocence calomniée.

À mesure que se rapprochait cette échéance, l’homme devenait, de jour en jour, plus sinistre. Il s’était amusé, d’abord, de cette aventure stupéfiante : l’armée, le Gouvernement de la République, le peuple tout entier soulevés pour sa défense. Maintenant, ce prodigieux spectacle n’apportait même plus une distraction passagère à ses colères. Tout disparaissait devant l’angoisse de sa comparution aux assises, et il ne s’en cachait même pas, il criait sa peur à tous venants ; la veille[3], il s’en était ouvert à un journaliste anglais : « Zola m’assigne à dé-

  1. Bonnamour, 152 : « Comment le suivre à travers toutes ses déductions, infirmer ses dénégations si habilement nuancées ? » (Écho de Paris du 17 février 1898.)
  2. Bonnamour, 145.
  3. 16 février. — Pall Mall Gazette du 17. — Récit analogue dans le Daily News, conversation avec le romancier David Christie Murray qui le juge ainsi : « C’est un bandit complet, mais c’est un brave bandit. » — Cass., I, 741, Strong.
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