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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


parole : « Je demande qu’on ne m’interrompe pas par des ricanements… J’en ai assez à la fin ! » Et il tranchait de tout : « On n’a pas apporté la preuve de la communication secrète… Les journaux ont tronqué le rapport de d’Ormescheville… » Comme Clemenceau s’étonnait que Billot, au cours de l’interpellation de Castelin ni ailleurs, n’eût point parlé de cette pièce décisive : « Le général Billot fait ce qu’il veut, cela ne me regarde pas. Et il y a d’autres pièces, le général de Boisdeffre vous le dira[1]. »

Delegorgue, pour terminer cette scène, ordonna à l’huissier de faire venir le témoin suivant. C’était Esterhazy qui entra, « blême jusqu’au verdâtre, courbé, l’air d’un fauve acculé[2] ». Mais Labori s’opposa à ce qu’il fût entendu avant Boisdeffre, sur quoi Delegorgue suspendit la séance, ce qui lui permit de prendre, par téléphone, des instructions. Et, comme l’incartade inattendue de Pellieux semblait ouvrir le champ à toutes les aventures, il fut invité à renvoyer l’audience au lendemain, pour donner au Gouvernement le temps de la réflexion. Cependant Boisdeffre, en civil, était accouru déjà, et venait d’entrer dans la salle des témoins.

Alors dans toute la salle des assises, puis dans les couloirs du Palais, pendant plus d’une heure, ce fut un tumulte sans nom. Ce brusque renvoi de l’audience, aussitôt après le coup de théâtre de Pellieux, et cela par ordre, au moment même où arrivait Boisdeffre, parut, ce qu’il était en effet, l’indice d’une situation qui devenait grave. Les officiers, comme pris de démence, et tous les professionnels du patriotisme qui étaient là, antisémites et césariens, et qui avaient amené leurs

  1. Procès Zola, II, 121, 122, 123.
  2. Aurore du 18 février 1898, Impressions d’un témoin. — « Pâle, très pâle, mais ses yeux flambent. » Libre Parole.)