Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
445
LE JURY

XII

Il y avait un vice profond dans cette conviction des parlementaires : c’est qu’elle était intéressée. Ils restaient du bon côté, avec la Force et le Nombre.

Des hommes qui s’appelaient Ribot ou Bourgeois, Brisson ou Dupuy, n’étaient point dénués de sens critique, ni Poincaré, ni Deschanel, ni tant d’autres ; cependant, leurs yeux restèrent fermés à l’effronterie du faux. Un pauvre diable d’abbé défroqué, qui s’appelait Guinaudeau, démontra, en quatre lignes[1], la fourberie qui les éblouissait.

On se rappelle que Lemercier-Picard avait raconté à Schwarzkoppen qu’il avait fabriqué la fausse lettre. On se souvient également que l’ambassadeur d’Italie, informé par Panizzardi, avait averti Hanotaux ; il lui avait donné sa parole que toute lettre de son attaché militaire, où Dreyfus serait nommé comme au service de l’Italie ou de l’Allemagne, était un faux, que Panizzardi était prêt à en déposer sous serment. Hanotaux avait pris alors l’engagement d’honneur qu’aucune pièce de ce genre ne serait produite et il avait rendu compte à Félix Faure, en conseil des ministres, de son entretien avec Tornielli.

Quand l’ambassadeur d’Italie fut informé d’un tel manque de foi, il en fut indigné et il télégraphia, le soir

  1. « Cela ressemble si bien au style des faux dont l’État-Major n’a pas su ou n’a pas voulu découvrir les auteurs. Cela est arrivé si juste à point, pour les besoins de la cause, la veille de l’interpellation Castelin. La vérité saute aux yeux. » (Aurore du 18 février 1898.)