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LE JURY


justice, est un crime ; le Code pénal le punit de la dégradation[1].

Cependant Labori protestait qu’il avait des questions à poser à Boisdeffre ; mais Delegorgue lui refusa la parole : « L’incident est clos ! » Esterhazy étant à la barre, il lui fit prêter serment.

Au Sahara et dans l’Arabie Pétrée, on entend parfois rouler un invisible tambour qu’on appelle le tambour du désert. Il roulait, commandait maintenant dans le désert des lois[2].

Delegorgue demanda à Labori s’il avait des questions à poser à Esterhazy. L’avocat répliqua qu’il préparait ses conclusions sur le refus qui lui avait été fait d’interroger Boisdeffre. « Si vous ne posez pas maintenant vos questions, vous ne les poserez plus. »

Labori tint bon : Delegorgue aussi. Il fit appeler les témoins suivants qui, par hasard, étaient absents. Force lui fut d’attendre les conclusions de Labori et de lui en laisser donner lecture.

Pour quiconque gardait une illusion sur la justice des hommes, ce spectacle était abominable. Ce juge avait rendu un arrêt pour défendre qu’il fût parlé de Dreyfus. Et que l’arrêt fût absurde ou non, équitable ou non, l’honneur du juge était de faire respecter sa propre décision. Or, il l’avait imposée seulement aux témoins qui eussent apporté des preuves de l’innocence du juif. Aux généraux qui venaient écraser le malheureux sous de solennels serments et de nouvelles pièces secrètes, il avait laissé pleine liberté de déposer à leur convenance, d’invoquer ou de violer le huis clos et le

  1. Code pénal, article 126.
  2. Séverine, 136 : » Un invisible tambour roule, commande dans le sanctuaire des lois. »