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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


secret professionnel, selon leur bon plaisir. Le coup porté, il alléguait que les généraux avaient parlé trop vite. Mais, quand la défense réclamait son droit de répondre, il devenait inflexible, évoquait son arrêt. De Boisdeffre, il avait toléré que ce subordonné du ministre de la Guerre posât devant le jury la question de confiance en l’État-Major. Le Code d’Instruction criminelle donne à la défense le droit formel d’interroger les témoins. Il refusait de laisser questionner Boisdeffre. Enfin, il allait plus loin encore, puisqu’il refusait la parole à l’avocat de Zola dont les conclusions avaient pour seul objet de l’obtenir. Pour l’avocat général, il continuait à se taire, avec un air de mépris et d’ennui.

Labori développa ses conclusions. Il y dit expressément que la prétendue preuve décisive de Pellieux contre Dreyfus n’offrait « aucune apparence de valeur ni d’authenticité ». Des huées, des vociférations l’interrompirent. Quand il dit que les généraux venaient plaider tous les jours, avec leur talent et leur autorité, mais aussi « avec leur uniforme, leurs galons et leurs décorations », Delegorgue menaça de lui retirer la parole : « C’est de la dernière inconvenance. » Labori demanda à la Cour de négliger les colères d’un pays qui s’égare : « N’oubliez pas que nous sommes peut-être à un tournant de l’histoire. »

La Cour rejeta[1]. Gonse, Henry respirèrent.

Le Destin, dans les tragédies grecques, n’est jamais plus proche que lorsqu’il paraît conjuré.

Labori avait fait rappeler Picquart, mais pour l’interroger sur un autre sujet, sur cette histoire d’Henry, déjà détruite par Demange, que le dossier secret,

  1. Procès Zola, II, 138. — À la suite de ce refus, Zola et ses avocats songèrent à quitter l’audience.