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LE JURY


enfermé le 14 décembre 1894 dans l’armoire de fer, n’en était sorti qu’en 1896, quand Gribelin reçut l’ordre de l’y chercher.

Picquart, qui se croyait lié par le secret professionnel, dit pourtant que « le dossier était sorti, dans l’intervalle, de l’armoire » et qu’Henry s’en exagérait l’importance. « Je désirerais certainement en parler, mais je ne puis le faire sans être relevé du secret par le ministre de la Guerre. » Aussi bien, continua-t-il de son ton le plus calme et sans que Delegorgue aperçût où il en voulait venir, « serait-il bon de vérifier l’authenticité de certains documents », notamment de celui « qui est arrivé si à point au ministère, au moment où il était devenu nécessaire de bien prouver qu’un autre qu’Esterhazy était l’auteur du bordereau ». Picquart n’avait pas vu cette lettre, mais on lui en avait parlé, et « le moment où elle était apparue, les termes absolument invraisemblables où elle était conçue, donnaient lieu de la considérer comme un faux ». Puis : « C’est la pièce dont a parlé M. le général de Pellieux. S’il n’en avait pas parlé hier, je n’en aurais pas parlé aujourd’hui. C’est un faux[1] ! »

Delegorgue avait compris trop tard : le mot était dit, et par l’ancien chef du bureau des renseignements. Il appela Gonse, mais Gonse, très décontenancé, refusa de rien ajouter à la déclaration de Boisdeffre. « La pièce est authentique, mais je n’ai pas le droit d’en dire plus. »

Cela parut faible. Au moins, Gonse aurait-il dû s’élever contre l’insolence de Picquart, l’insulter.

C’est ce que Pellieux fit le lendemain. Picquart était

  1. Procès Zola, II, 141. Picquart. — Il fit la même déclaration à Bertulus, lui raconta sa conversation avec Billot et lui dit le texte approximatif qu’il tenait du ministre. (Cass., II, 217 ; 19 février 1898.)