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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XIV

Esterhazy raconte « qu’il avait le projet, non pas seulement de parler, mais d’agir à l’audience », c’est-à-dire de se livrer à des voies de fait sur ses accusateurs ; mais Pellieux, dans la salle des témoins, « où il n’y avait que des officiers », le lui avait défendu : « Vous allez être interrogé ; vous ne répondrez pas. — Mon général, si ces cochons-là m’engueulent, je ne peux pas me taire ! — Si, vous vous tairez, je vous en donne l’ordre. — C’est bien, mon général[1] ! » Et il porta la main à son képi[2]. Pellieux, qui continuait à le prendre au sérieux, craignait qu’il eût caché sur lui une arme ; il lui fit retourner ses poches. Elles étaient vides[3]. Il l’autorisa à réciter une déclaration que Tézenas, travaillant tantôt pour Esterhazy, tantôt pour Boisdeffre, avait préparée[4].

Il l’avait dite, l’air dur et mauvais, avec une violence calculée, à cette première audience du 18 février où il avait remplacé Boisdeffre à la barre. On y sentait l’effort, le devoir de rhétorique. Esterhazy, livré à sa propre inspiration, parlait avec une autre verve. Et, dans sa voix rauque, brutale, nulle émotion, même quand il dit, avec une inadvertance qui ne fut pas relevée, que, « depuis dix-huit mois qu’une machination épouvantable se tramait contre lui, il avait souffert plus

  1. Cass., I, 587. 598, Esterhazy.
  2. Libre Parole du 19 février 1898.
  3. Matin du 19.
  4. Esterhazy recopia le texte de Tézenas ; cette copie fut saisie par Bertulus. (Cass., II, 236, cote 4, scellé 6.)