Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/467

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LE JURY

Enfin, au bout de quarante minutes, Clemenceau, toujours avec la même impassibilité : « Est-ce que M. le commandant Esterhazy reconnaît, ainsi que cela résulte d’articles de l’Écho de Paris, de la Patrie et du Matin, avoir eu des relations avec M. le colonel de Schwarzkoppen ? — Ne parlons pas, cria Delegorgue, d’officiers appartenant à des pays étrangers ! » Clemenceau renouvelle la question ; le président refuse de la poser : « Comment se fait-il qu’on ne puisse pas parler, dans une audience de justice, d’un acte accompli par un officier français ? — Parce que, répond solennellement Delegorgue, il y a quelque chose au-dessus de cela, c’est l’honneur et la sécurité du pays. » Des applaudissements furieux éclatent. « Monsieur le Président, riposte Clemenceau, je retiens que l’honneur du pays permet à un officier d’accomplir de tels actes, mais ne permet pas d’en parler[1]. »

Il termina sur ces mots. Esterhazy, défaillant, alla se rasseoir parmi les officiers qui lui firent une ovation. « Bravo, commandant ! À bas les lâches ! À bas les infâmes ! » Tézenas l’embrassa, le félicita d’avoir tenu sa parole[2].

On entendit à peine, tant la salle vibrait encore, l’architecte Autant, Huret, qui confirma les propos des officiers de Rouen sur le « rastaquouère » qui avait été leur camarade. La défense renonça à l’audition des diplomates et des militaires étrangers[3], ainsi qu’à celle de Casella. Ce fut contre mon avis. On chercherait en vain dans la Seine la clef qui avait été perdue dans la Sprée.

  1. Procès Zola, II, 156, Clemenceau.
  2. Aurore, Libre Parole, etc. — Cass., I, 587, Esterhazy.
  3. Delegorgue dit qu’il ne les aurait pas entendus. (II, 278.)