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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Bien que nul n’eût prévu l’horreur shakespearienne de l’interrogatoire d’Esterhazy, on avait décidé de le payer de son silence par une manifestation patriotique d’un éclat exceptionnel, et Guérin, en conséquence, avait convoqué, au grand complet, ses bandes. Il était là, depuis plusieurs heures, escorté de Max Régis, fraîchement débarqué d’Alger, et de Thiébaud, tenant le Palais, comme un pays conquis, avec ses hommes armés de gourdins, et répandant une telle terreur qu’on n’osait même plus répondre à leurs cris de défi par celui de : « Vive la République[1] ! » Pour passer le temps, ils avaient déjà « martelé le crâne » de quelques juifs et de quelques protestants ; ils crachèrent aussi au visage d’un jeune homme qu’ils avaient pris pour le frère de Mme Dreyfus et, l’ayant renversé, le piétinèrent[2].

Enfin, quand Esterhazy parut avec Pellieux, une même acclamation les salua, mais l’enthousiasme fut surtout pour Esterhazy : « Gloire à la victime du Syndicat[3] ! » Il se tenait à peine debout pendant que Pellieux pleurait. Ce n’étaient pas seulement les braillards vulgaires à quarante sous qui l’applaudissaient, mais les avocats, les journalistes, les officiers, des femmes, emportés par la contagion ou par un vent de folie. Un ancien officier l’embrassa : « Oh ! mon vieux camarade[4] ! » Le prince Henri d’Orléans se fit présenter par le beau-frère de Rochefort et le félicita de son cou-

  1. Matin du 19 février 1898. — Un officier de police, Martin, fui maltraité pour avoir défendu contre les assaillants un jeune homme qui avait crié : « Vive la République ! »
  2. Libre Parole du 19.
  3. Libre Parole, Écho, Matin, Siècle, etc.
  4. Éclair : « C’est M. Xavier Feuillant, ancien sous-officier de cuirassiers de la garde. »