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LE SYNDICAT


badauds, se réunirent dans un « meeting d’indignation[1] ». Les organisateurs nous avaient convoqués, Scheurer et moi. Nous déclinâmes l’invitation et l’assemblée nous flétrit. Les discours roulèrent sur ce thème : « Des hommes à la solde de l’Allemagne ont entrepris d’enlever à nos soldats la confiance qu’ils ont dans leurs chefs et de détruire l’armée[2] ». Le poison pénétrait. On vota que les juifs fussent exclus de l’armée et des fonctions publiques. Des étudiants, en marche sur le Sénat, pour y huer Scheurer, furent dispersés par la police. La laideur de cette jeunesse, qui avait remplacé par la haine les belles passions d’autrefois, attrista seulement quelques vieillards. Un premier vent d’émeute passa sur Paris.

Ainsi les choses tournaient à souhait pour Esterhazy. Pendant tous ces jours, il se divertit beaucoup. Ses idées noires, de fuite ou de suicide, qui lui reviendront, s’étaient dissipées. Le bruit énorme qui se fait autour de lui, l’agitation fiévreuse de tout un peuple à son sujet, le retentissement du drame, dont il est le héros, à travers le monde qui, tout de suite, prit feu, oublia tout pour suivre avec passion l’étonnant spectacle que la France va de nouveau donner ; son nom dans tous les journaux du globe et sur toutes les bouches ; l’ardeur des miniers et des milliers de braves gens qui ont surgi pour sa défense, de qui, la veille, il était inconnu et qui le célèbrent comme la victime et le martyr des juifs détestés ; les chefs les plus illustres de l’armée s’engageant avec lui et entraînant l’armée avec eux ; le ministre de la Guerre, tout à tour défié, fouaillé quand

  1. Le 21 novembre, au Gymnase Pascaud.
  2. Discours de Dubuc. Le vicomte d’Hugues, député, et Millevoye prirent également la parole. (Temps, Matin, Libre Parole, etc., du lendemain.)