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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment condamné : « Ainsi le Gouvernement a démontré son souci constant de l’indépendance de la justice. » Cependant, il attestait, dans son jargon, comme des vérités démontrées, que « le condamné était en situation, à l’exclusion de l’autre, de se procurer les documents qui ont été l’objet de la trahison » ; qu’aucune pièce secrète n’avait été communiquée aux juges de Dreyfus, « cela était matériellement impossible » ; que le petit bleu, « qui était un point de départ », était un faux ; que le fameux article de l’Éclair émanait des Dreyfus et les faux télégrammes « du cercle de Picquart ». Et il croyait au Syndicat : Bernard Lazare a été « l’entrepreneur de la Revision » ; la famille de Dreyfus est « puissante et riche » ; « le groupe du condamné n’est pas moins riche et puissant » ; « il y a trop d’argent dans cette affaire ». Comme preuve des complicités internationales, il montra un exemplaire d’une traduction allemande de la lettre de Zola À la Jeunesse[1]. Mais il disait tout cela sans colère.

Zola lui répondit, lisant, lui aussi, mais interrompu à chaque phrase et hué.

L’éloquence poétique était très démodée ; on l’eût étonné en lui disant que cette prose surchargée et superbe n’était pas très simple, et qu’il parlait, dernier épigone du romantisme, à la façon des personnages de Victor Hugo, d’un Ruy Blas ou de Clancharlie, quand ils font un discours politique. Et, encore, son « moi » déborda : « Vous êtes le cœur et la raison de Paris, de mon grand Paris, où je suis né, que je chante depuis tantôt quarante ans… En me frappant, vous ne ferez que me grandir… Qui souffre pour la vérité et la justice devient auguste et sacré… Condamnez-moi donc !…

  1. Procès Zola, II, 188, 217, Van Cassel.