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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il parla très courageusement de l’étranger « qui n’est pas forcément l’ennemi », de « tous les peuples sympathiques du Nord, de la petite et généreuse Hollande, de ces terres de langue française, la Suisse et la Belgique, qui ont le cœur gros… Voulez-vous, quand vous passerez la frontière, qu’on ne sourie plus à votre bon renom légendaire d’équité et d’humanité ? «

Il avait terminé la lettre qui l’amenait devant le jury par des accusations ; il termina son discours par un serment plusieurs fois répété : « Dreyfus est innocent, je le jure !… Par mes quarante années de travail, je jure que Dreyfus est innocent ! » Il le jure encore par son nom, par son honneur, par ses livres : « Que mes œuvres périssent si Dreyfus n’est pas innocent ! Il est innocent ! » En vain, tous les pouvoirs publics sont conjurés avec une opinion trompée : « Je suis bien tranquille : je vaincrai… On peut me frapper ici. Un jour, la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur ! »

Labori plaida pendant tout le reste de l’audience, celle du lendemain et la moitié de la troisième.

Zola lui avait demandé de parler non pour lui, mais pour Dreyfus.

Cette cause était si belle que sa beauté rayonnait sur tous ses défenseurs. Des écrivains médiocres qui bataillaient pour elle devenaient presque des poètes. Les faits étaient si éloquents qu’ils eussent rendu éloquent un avocat qui ne l’était pas ; or, celui-ci l’était, avec des moyens physiques puissants qui donnaient, même aux adversaires, la sensation de la force, « une voix qui vibre comme un clairon, une poitrine qui résonne comme un tambour sous le martèlement du poing[1] »,

  1. Écho de Paris du 23 février 1898.